Antoine DE BAECQUE, La traversée des Alpes, Essai d’histoire marchée, Gallimard, collection Folio Histoire, 2018, 639 pages
Un historien du cinéma décide entre deux boulots de partir sur le GR5, la fameuse traversée des Alpes entre le Léman et Nice pour un mois complet de marche. Un berger refoulé de plus, poussé vers l’écriture. Nous sommes si nombreux !
Ce pourrait être un énième récit de voyage avec son lot d’ampoules aux orteils et ses envolées lyriques glorifiant la vie au grand air, le tout saupoudré d’un zeste de Wikipédia. Il n’en est rien.
L’auteur s’efface le plus souvent -c’est bien agréable en cette époque d’extrême narcissisme, il s’agit sans doute une déformation professionnelle- pour se livrer à une pérégrination érudite en deux temps : d’abord, celui de la marche qui sert de colonne vertébrale au récit, puis ce temps qui nous précède et dont ce sentier aujourd’hui ultra-balisé constitue l’un des authentiques vestiges.
Ce livre donne envie d’en lire d’autres,
en particulier les biographies d’illustres méconnus: Jean Loiseau, Raoul Blanchard, Marc de Seyssel, Philippe Lamour, Gilbert André. Baliseurs de sentiers des premières heures de la randonnée-loisir, leurs noms sonnent aussi juste que ce que l’auteur veut bien nous dévoiler de leurs existences. Ce sont ces types plutôt sympathiques en knickers, avec leurs sacs trop lourds et leurs croquenots que l’on aimerait croiser un certain samedi de juillet sur le GR. Ils nous proposeraient un coup de gnôle en expliquant sans fanfaronnade qu’ils en ont encore pour dix bonnes heures et qu’on les attend le lendemain sur la Promenade des Anglais. Allez, salut la compagnie, à la revoyure.
Raoul Blanchard, professeur à l’université de Grenoble, emmenait par exemple ses étudiants dans de véritables excursions géographiques alpines qui mêlaient randonnée et enquêtes de terrain. On a sans doute bousculé à maintes reprises son fantôme en VTT ou en Gravel dans le Vercors...
Ceux et celles qui randonnent un peu savent bien que les sentiers de montagne ont un passé illustre, tour à tour voies de commerce et de contrebande, militaires ou pastorales, objets de tant de causes aujourd’hui perdues.
L’histoire récente de leur balisage est cependant bien moins connue.
Les premières marques rouges et blanches qui rassurent tant le marcheur dans nos massifs datent du milieu des années 1940 et le premier GR à voir le jour fut le numéro 3 aux environs d’Orléans. La randonnée se réclame alors d’un grand mouvement national visant à redonner le moral et la santé à la France d’après-guerre.
Rien que ça. Quand on vous dit que les sports au grand air c’est sérieux.
Ce sont des bénévoles qui s’attellent à rouvrir les anciens chemins, sous l’égide d’associations telles que le Touring Club de France aujourd’hui disparu ou encore le Club Alpin Français toujours vaillant. Ce sont les mêmes qui se battent un peu plus tard pour la création du parc de la Vanoise en 1963 et contrent ainsi la frénétique poussée des stations de sport d’hiver qui menace la grande faune alpine. Merci Messieurs, grâce à vous, de nos jours, il faut parfois jouer des coudes avec les bouquetins dans certains coins des Alpes !
La Traversée des Alpes est agréable à parcourir pour ceux et celles qui ont déjà eu la chance d’arpenter le GR5 et qui apprécieront les belles descriptions des étapes-clés agrémentées de commentaires de l’historien. Il m’a donné des fourmis dans les jambes et le désir de pousser l’aventure plein sud quand les beaux jours viendront. Ubaye, Piémont, Queyras, nous voilà !
Un livre à lire à petits pas entre deux sorties au grand air…
Ce que ce livre nous pousse à lire maintenant :
Du même auteur :
-Ma transhumance, Carnets de routo, éditions Arthaud, Coll. L’esprit voyageur, 2019, 372 pages
-Les Alpes occidentales de Raoul Blanchard
-Two little savages, Ernest Thompson Seton, 1903
-Camping et voyage à pied. (Manuel du randonneur). LOISEAU Jean .Editions de la revue Camping. J. Susse. 1944
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